lundi 10 février 2014

Dehra Dun, Uttarakhand, la léproserie de KKM

Petits tours autour de Dehra Dun
En octobre dernier J’avais promis à Raju, excellent masseur ostéopathe d’aller le voir à Udaipur en février, ses soins étant hors du commun pour ma part. Et j’ai pris le train pour la destination opposée, Dehra Dun. Un groupe s’est annulé en octobre avec qui j’aurais dû passer par Brahmpuri pour rendre une visite amicale à Pierre Reyniers et les habitants de la léproserie. Pas assez de personnes, le groupe est annulé. L’occasion se présente cette fois d’aller passer trois jours à Dehra Dun et de profiter de la présence de Pierre pour faire comme on dit « le tour des popotes ». Hukum Singh le chauffeur m’emmène donc directement à Tara Parbat, que j’avais dû voir une fois il y a une vingtaine d’années. Je me rappelle seulement de ce coin haut perdu dans les collines, qui m’avait presque semblé être le bout du monde où quelques couples tissaient et s’essayaient au papier fait à la main avec des inclusions de pétales et d’herbes. Juste un aller-retour dans cette sorte de « Larzac » indien. 

Tara Parbat, une des maisons avec derrrière les collines de Mussoorie
Mais en y revenant bien des années plus tard, je ne vois même pas que nous quittons Dehra Dun, les constructions ont gagné de partout et nous prenons au bout d’une dizaine de kilomètres une petite route cimentée qui commence à grimper dans les collines. Plein de nouvelles maisons apparaissent, ce n’est plus tellement le bout du monde maintenant et c’est bien là un des problèmes pour Tara Parbat. Le terrain fait bien des envieux et des promoteurs lorgnent avidement sur les lieux. Petite mafia locale qui essaie à coups de milliers de roupies de persuader les habitants d’aller voir ailleurs… Une première séance en justice le 15 janvier, puis une seconde qui doit avoir lieu le 15 février va donner l’orientation prochaine de l’avenir de cette petite communauté.
. Il reste à faire comprendre aux habitants des lieux que l’attrait de l’argent ne vaut pas grand chose face à la qualité de vie qu’ils ont actuellement, aux 35 ans de soutien de KKM qui leur a fournit du travail et les a toujours aidés. Difficile de leur faire comprendre que l’argent qu’ils obtiendront n’est rien face à la fortune que va se faire le promoteur s’il peut avoir le terrain et qu’ils ne retrouveront jamais ce qu’ils ont. Le promoteur sait bien ce qu’il doit faire miroiter et bien peu ont cette conscience qu’ils sont pervertis et manipulés si facilement.
Espérons que la déesse de la sagesse ne sera pas détrônée par la déesse de la richesse !
Sarasvatî contre Lakshmi…Attendre et voir.
 
Une des fileuses, avec le sourire malgré le froid matinal
Je passe donc une journée et une nuit dans ces belles collines, prenant contact avec les uns et les autres, photographiant tout le monde et les environs. Ce qui permet à Pierre de faire quelques petites découvertes… En particulier la construction d’un bloc sanitaires dont je n’ai pas photographié d’assez près la plaque d’inauguration en hindi pour savoir qui est à l’origine de cette construction et à quelle date elle a été terminée.
Le bloc sanitaires tout neuf, offert par ?
Accueillie généreusement par Baghirathi, Baga pour les intimes, qui m’a nourrie et m’a fait des délicieuses parathas au petit déjeuner, je profite du fait que sa fille Tara et la fille d’Hukum Singh, Rekha, sont là et parlent parfaitement anglais pour avoir des nouvelles de leur famille. 
Baga et les parathas du petit déjeuner
Rekha travaille à Delhi dans une petite agence de voyages et essaie d’obtenir des marchés des clients de Grande Bretagne et d’Afrique du Sud. A elle de leur proposer le circuit qu’ils demandent pour des services et un prix meilleurs que ceux des concurrents, bien nombreux sur Delhi. Cela fait juste un an qu’elle a trouvé ce poste en particulier grâce à des séjours en Angleterre qui lui ont permis d’avoir un anglais parfait. Le salaire est maigre, douze mille roupies par mois, ce qui lui permet à peine de quoi vivre à Delhi où elle est en co-location. Elle espère pouvoir un jour avoir un poste dans le tourisme à Dehra Dun. Elle a eu la chance d'avoir été prise en charge ainsi que sa soeur pour l'ensemble de ses études, bien que d'entrer en internat à cinq ans lui a laissé bien de douloureux souvenirs ! Sa sœur aînée Lakshmi est infirmière bien loin sur la route des sources du Gange dans un hôpital à Kanprayag non loin de Badrinath. Elle est mariée et son mari est dans l’armée, quelque part en Inde. Mariée depuis un an, elle a plutôt un statut de jeune femme célibataire ! Il y a cinquante ans, en tant qu'enfants de lépreux, elles n'auraient eu aucune chance de faire des études et de trouver du travail.
Rekha, une jeune fille courageuse et travailleuse, en week-end chez ses parents
Tara est infirmière mais pour cette année est formatrice au Mahendra Andresh Hospital de Dehra Dun. Elle préfèrerait avoir un poste dans une clinique ce qu’elle va essayer de trouver pour l’an prochain. Son frère aîné, Pramod est pathologiste à Chandigarh.
Dans la nuit, je sors de ma petite chambre préparée près de l’atelier et regarde le ciel et toutes les petites lumières de Mussoorie qui brillent tout là-haut sur le sommet de la montagne. Les lumières de Rajpur la petite ville en face et qui est considérée comme le côté « riche » de Dehra Dun éclairent la colline. Il fait froid et je retourne vite sous mes quatre couvertures jusqu’à huit heures du matin, l’heure d’ouverture de l’atelier.
la galerie où filent les femmes
le feu du matin pour se réchauffer les mains
Tout le monde se met au travail après s’être chauffé les mains autour d’un petit feu de bois. La brume humide est là et le soleil pointe un bout de ses rayons bien tard dans la matinée puis le ciel se recouvre.
La vie va… chacun-e est à son métier, les hommes préparent et pèsent les rations de lentilles, Hukum le chauffeur est un peu inquiet quant aux injecteurs de la jeep qui est pourtant neuve.
le pesage des rations de lentilles
Hukum surveille les injecteurs de très près !
Je descends en début d’après-midi à Nalapani et Bangaraiha et sa femme m’ont préparé la chambre des invités avec beaucoup d’attention, petit bouquet de roses, encens, grosse couette, serviette de toilette, tout est là pour mon confort, même un petit radiateur à résistance pour me chauffer les pieds avant de m’endormir…
Près des ateliers, le curcuma qui est mis à sécher au soleil
Avec Pierre nous commençons nos discussions ou plutôt il me tient au courant de ce qui se passe et j’avoue que j’ai du retard, avec tous mes voyages, j’ai parfois du mal à raccommoder les morceaux !
l'atelier de tissage de Nalapani
Les journées passées à Nalapani me font connaître les petits-enfants… La population vieillit, les enfants déposent parfois les bébés chez les grands-parents pour aller travailler. Pas facile d’assurer un nombre de mètres de tissage avec un bébé dans les bras ! 
Dhan et son petit-fils, pas facile de faire du tissage avec un bébé dans les bras !
 J’en profite pour jouer un moment à la mamie comblée et me réjouis de pouvoir donner le biberon à un petit garçon qui semble avoir confiance, mais c’est un petit goulu !

Une quarantaine de personnes à Brahmpuri, soixante-quinze à Nalapani, vingt à Nav Jivan Gram et seize à Tara Parbat, cela commence à poser questions sur la continuité de KKM et sur le suivi de la production. Il faut se réjouir de savoir que la lèpre est de mieux en mieux soignée (et non pas éradiquée) et surtout détectée à temps, mais comment maintenant assurer le renouvellement de la population, les enfants sont tous partis travailler ailleurs ayant pour certains fait de bonnes études ?

Avec Pierre, Noël et deux femmes tisserandes, nous allons rendre visite à Rajpur à JOYN, une petite entreprise créée par une Américaine et qui fait travailler la léproserie pour son tissage de coton de qualité et la fabrication de sacs.
Les tissages de KKM chez JOYN
Elle complète ensuite par de l’impression sur tissu manuelle pour créer une ligne de produits, sacs à main, sac à provisions, en les déclinant avec des tailles et des formes différentes, l’utilisation de cuir, de boutons, de brides qui donnent un caractère artisanal très chic et de bon goût à tous les produits qu’elle propose. Elle emploie après les avoir formés des jeunes hommes, de minimum 16 ans, mendiants, drogués, alcooliques, handicapés à cause de la polio, et qui sont volontaires pour changer de vie, avoir un travail et retrouver une dignité.
un jeune handicapé qui travaille, avec sa béquille

L'impression manuelle des sacs fabriqués par KKM
A les voir s’appliquer pour poser leur bloc d’impression, on a du mal à imaginer ce qu’ils pouvaient être « avant ». Il y a en tout une petite trentaine de personnes employées et les contacts avec Pierre sont excellents. On peut y voir là un signe pour, on ne sait jamais, un certain prolongement à la léproserie… Leur société marche très fort aux Etats-Unis et ils envisagent même de créer un nouveau marché en Angleterre.
Voir leur site : www.joyn.myshopify.com Mot de passe : joyn2014
Cela vous permettra de voir la production KKM sous un nouvel aspect !
Et lisez l'historique de KKM pour mieux comprendre  cet article :
http://kkmhandweaving.blogspot.in

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