Mardi 21 janvier 2014
Jour de fête
21 janvier 2012 : les
tribaux de ces villages ont gagné la bataille contre le gouvernement, et leurs
terres, leur forêt, leur colline où se trouve le cimetière des ancêtres et leur
lieu de dévotion et de prières pour célébrer la nature vont enfin leur
appartenir, avec de vrais titres de propriété ! Et pour fêter ça le 21
janvier 2014, nous sommes avec eux, au bas de cette « sainte »
colline que nous ne gravirons pas car il faut le faire pieds nus et nos pauvres
pieds d’occidentales embourgeoisées ne résisteraient pas aux pierres du
chemin !
Mais une grande réunion avec des
responsables de dix-sept villages se fait en marge de ce festival en même temps
que se montent derrière nous les échafaudages, que flottent les banderoles, que
cuisent les gâteaux et que s’installent les manèges pour enfants.
Ils nous expliquent tout, leur
lutte, comment cela a commencé il y a cinq ans quand les premiers travailleurs
sociaux d’Ekta Parishad sont venus leur parler de Bilsamunda, un grand leader
pour les droits des peuples tribaux. Ils leur ont expliqué que malgré
l’incessante pression des sociétés minières qui veulent agrandir leur terrain
d’exploitation, ils étaient en droit de demander à rester sur leurs terres
ancestrales, qu’il y avait une loi depuis 2008 sur le droit à la forêt, à la
suite de la grande marche de Janadesh 2007. Qu’il y avait des procédures à
faire et qu’en un peu plus de trois mois, ils pourraient obtenir leurs papiers.
Il a fallu bien sûr une certaine prise de conscience de leur force collective,
qu’ensemble ils pourraient garder ce qui leur tenait le plus à cœur, même si
deux de leurs leaders de villages étaient considérés comme
« naxalites » par le gouvernement local et mis en prison pendant sept
mois. Libérés sous caution, après trois ans leur cas n’est toujours pas jugé.
Mais cela ne les empêche pas de continuer la lutte non-violente, d’être là sur
le terrain et de nous expliquer à nous et tous ceux autour leur quotidien
d’opposition aux grosses sociétés industrielles. Version indienne de David et
Goliath.
des kilos de gâteaux délicieux attendent les familles... |
le plan du village est étalé par terre pour nous expliquer la situation |
Ils ont également appris qu’ils
avaient le droit d’obtenir une carte de crédit spéciale « fermiers »
qui pouvait leur octroyer de 15 à 40 000 roupies pour les aider dans les achats
de semences et de matériels pour leur exploitation agricole. Trois cents
fermiers ont donc décidé de faire une marche non-violente jusque devant le
« District Collector » ( genre Contrôleur des impôts de la région)
qui auraient dû leur donner leurs cartes il y a bien longtemps et qui s’était
bien gardé de le faire, car les trafics de cartes pour obtenir ces sommes
d’argent sont courants… Le District Collector n’a pas résisté devant la
pression et les cartes ont été données sans restriction.
Cela tiendrait du miracle, il
faudrait donc simplement demander et on obtient ? Quand c’est juste, qu’il
y a la connaissance de ses droits, une vraie détermination et une lutte
non-violente continue au niveau national, cela se fait, c’est tout. Et
heureusement que même dans un pays aussi corrompu que l’Inde, il existe encore
des lieux où le droit est respecté grâce à la force du collectif et la
solidarité. Version indienne de « Gardarem lou Larzac ».
Nous partons ensuite, bien
encadrées et protégées par une quinzaine de personnes en moto sur des petites
pistes poussiéreuses, avec notre 4x4 à travers les collines pour aller voir les
mines de charbon.
Arrivées sur une sorte de plateau
nous voyons émerger de grandes panières remplies d’énormes blocs de charbon
posées sur des têtes de jeunes filles ou femmes. Toute une farandole de saris
qui prennent peur et partent en s’égayant quand la personne qui nous accompagne
sort de la voiture et leur crie quelque chose qui les tranquillise visiblement.
Ce sont des femmes tribales qui ramassent du charbon pour le revendre illégalement mais cela leur permet de survivre. Une roupie du kilo… il faut qu’elles fassent dix trajets à travers la campagne avec des corbeilles de 40 kg sur la tête pour gagner cinq euros dans la journée, de quoi survivre. Charbon qui sera revendu dix fois plus cher par leur exploiteur qui se fait une fortune non seulement sur leur dos, mais sur leurs vertèbres cervicales, sur leurs hanches, sur leurs pieds. Pas un seul jeune homme et je pose la question. Ce n’est qu’une affaire de femmes car la police ne peut pas les mettre en prison. Les hommes, si.
Ce sont des femmes tribales qui ramassent du charbon pour le revendre illégalement mais cela leur permet de survivre. Une roupie du kilo… il faut qu’elles fassent dix trajets à travers la campagne avec des corbeilles de 40 kg sur la tête pour gagner cinq euros dans la journée, de quoi survivre. Charbon qui sera revendu dix fois plus cher par leur exploiteur qui se fait une fortune non seulement sur leur dos, mais sur leurs vertèbres cervicales, sur leurs hanches, sur leurs pieds. Pas un seul jeune homme et je pose la question. Ce n’est qu’une affaire de femmes car la police ne peut pas les mettre en prison. Les hommes, si.
les plus jeunes sont mises aussi à contribution et là, ça fait encore plus mal au coeur quand on voit ces bouts de chou avec ces charges gigantesques |
Plus loin encore nous arrivons à
une exploitation minière. Vaste trou, longue rangée de camions attendant leur
chargement, poussière noire. Tout cela était une belle forêt auparavant avec un
village, maisons rasées, habitants déplacés, quelques-uns uns sont quand même
restés au milieu des ruines, subissant les pollutions sonores, les tirs de
mines, la poussière qui s’infiltre partout, mais où aller ?
« Faire du tourisme » en Inde, on pense palais de maharadjah, forteresses rajpoutes, Taj Mahal et beaux jardins. Mais il existe aussi des maisons de briques au toit percé, des huttes où des femmes avec quelques haillons sur le dos tressent des cordes avec des liens de plastique récupérés des sacs de ciment, des hommes aux jambes noueuses et maigres qui vont dans la forêt avec leur arc et leur flèche tirer sur des bestioles qu’ils vendront au marché pour assurer une assiette de riz à leurs enfants, d’autres qui font 90 km sur leur vélo chargé de 500 kg de charbon pour le vendre le long de la route entre Hazaribagh et Ranchi.
C’est une autre pauvreté que
celle qui s’affiche sur les lieux touristiques. C’est une vie de misère, sans
espoir, où aujourd’hui est semblable à hier et sera pareille que demain et où
le futur est un mot inconnu.
Mais nous avons vu des équipes de
femmes et d’hommes motivés par le désir de faire triompher la justice, de faire
respecter les lois à tout prix, de porter à la connaissance de tout un petit
peuple de ce que l’Inde peut avoir de grand, de juste, pour aider les plus
défavorisés. Faire reconnaître ses droits, celui d’avoir un toit sur sa tête,
celui d’avoir un petit bout de terrain pour nourrir sa famille, celui d’aller
dans la forêt pour y trouver sa subsistance.
L’Inde bouge. Pas seulement
celles des ordinateurs, des centrales nucléaires et des téléphones portables.
Pas seulement celle où règnent la corruption, la mafia et les trafiquants. Mais
celle des petits villages où vit 70 % de la population. Pas de partout, ne
rêvons pas, et ce sont des pas de fourmis. Mais j’ose y voir un espoir, une
lumière pour toute une jeune génération. Aidons-les, cela nous aidera aussi à
grandir avec plus de foi, plus de générosité, plus d’espoir et plus de
fraternité.
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