Bokaro, les mines illégales
Aujourd’hui nous partons faire
encore bien des kilomètres en voiture pour aller dans la région de Bokaro à la
rencontre des mineurs. Mais pas n’importe lesquels. Ils font partie des peuples
tribaux du Jharkhand, ils voient tous les jours les énormes machines dévorer
leurs terres, dévaster leurs forêts, polluer leur eau. Ils se battent, mais
avec le principe de la non-violence chère à Gandhi et demandent sans cesse au
gouvernement de leur donner une terre pour avoir de quoi vivre et nourrir leur
famille. Ils travaillent dans les entrailles de cette terre, tous les jours,
sans relâche, par équipe de dix, à tailler dans la colline pour extraire du
charbon. Leurs mines font des centaines de mètres, jusqu’à un kilomètre de
profondeur, et ils étayent du mieux qu’ils peuvent mais parfois, ils ont peur
que tout s’écroule. Cela arrive de temps en temps et fait des morts. Ils
veulent la reconnaissance légale de leur travail. Ils veulent pouvoir
travailler sans le harcèlement de la police ou de la mafia qui travaillent main
dans la main. Ils aimeraient vendre leur production à un juste prix. Pendant la
journée, à dix, ils extraient quatre tonnes de charbon, qu’un tracteur vient
charger pour deux mille roupies (30 euros), soit deux cents roupies (3 euros)
par jour de travail.
Si ce travail était légalisé, ils
pourraient se constituer en coopératives et vendre alors ce charbon au prix
officiel du marché de huit mille roupies la tonne soit trente deux mille
roupies par jour (480 euros). Mais le gouvernement, en collusion avec les
sociétés minières, refusent de légaliser leur travail.
Nous partons à leur rencontre
après quelques kilomètres de chemins défoncés dans la forêt, en voiture puis
nous sommes obligés d’aller à pied. Quelqu’un qui les connaît bien nous a
devancés en moto pour les avertir de notre venue afin qu’ils ne croient pas que
ce soit la police qui arrive.
Pour augmenter la tension, la
forêt brûle un peu partout, ils font du nettoyage et les feuilles sèches
crépitent sous la chaleur des flammes. Certaines prennent un peu peur et
veulent rebrousser chemin. Mais les arbres ne brûlent pas et même si
paradoxalement on ne voit personne pour surveiller ces feux, ils seront éteints
lors de notre retour.
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le chemin de tous les risques ? |
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c'est impressionnant de voir le feu qui avance et nous entoure |
Au bout d’un certain temps, nous
arrivons aux entrées des mines qui s’échelonnent tout au long du chemin comme
des entrées de trous de marmottes. Nous nous glissons dans une des entrées,
toute fraîche, il fait très noir, nous ne distinguons que de toutes petites
taches de lumière éparpillées autour de nous, telles des lucioles qui
papillonnent. Ce sont les toutes petites torches des mineurs qu’ils accrochent
au niveau de l’oreille en les coinçant dans leur turban.
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une entrée de mine |
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l'aventure ? |
Nos yeux s’habituent
progressivement et ils nous montrent comment ils travaillent, leur
installation, les galeries. Comment ils fuient au fond des galeries quand la
police arrive, car elle n’ose pas s’aventurer très loin dans ces labyrinthes
obscurs.
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l'intérieur de la mine qui s'enfonce ici sur un km et le plafond étayé |
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le charbon affleure partout mais il faut quand même taper fort |
Puis nous sortons tous à l’air
libre et Ram, le travailleur social qui nous accompagne, en profite pour faire
un meeting et leur expliquer qu’il faut revendiquer la légalité pour leur
travail, pour pouvoir manger à leur faim, pour ne plus perdre leurs terres,
pour obtenir de l’eau potable. Dans cette région, déjà plus de six millions de
personnes ont été déplacées à cause des mines et deux millions le seront encore
dans les prochaines années si les revendications ne se font pas plus tenaces
pour obliger le gouvernement à arrêter de concéder des territoires aux
entreprises minières, si personne ne vient les aider et les soutenir dans ces
demandes justifiées.
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meeting pour information sur les droits |
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petit à petit les mineurs sortent des trous et viennent écouter. |
Puis nous repartons voir une mine
à ciel ouvert tout prêt d’ici et qui est exploité depuis une quarantaine
d’années. Les couches de charbon sont en strates horizontales et il est facile
d’en extraire le minerai en creusant de plus en plus la colline. La noria des
camions, les machines à extraire, tout est mécanisé et ces mines n'offrent pas
d’emplois aux habitants des environs qui se voient petit à petit obligés de
quitter les lieux, souvent quasiment sans dédommagement car ils sont trop
pauvres et illettrés.
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mine à ciel ouvert, avant c'était la forêt... là-haut ! |
Nous imaginons avec un peu de
difficulté quand même le paysage de forêts et les villages tribaux quarante ans auparavant… Et encore, là c’est une petite mine… (voir sur mon blog les
articles sur d’autres lieux dans la même région).
Nous terminons la journée en
allant voir la centrale thermique. L’eau noire pleine de poussière de charbon
est rejetée dans des bassins de décantation.
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eau rejetée dans le bassin |
Le bassin rempli de ces impuretés
est asséché et les camions viennent le vider pour aller de nouveau remplir les
excavations où l’extraction a été terminée. Nouvelle noria de camions.
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un des bassins de décantation en train d'être vidé |
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paysage urbain et noir... la centrale thermique. |
Nous terminons notre journée
pleines de poussière des pieds à la tête, l’âme bien triste, les poumons dans
le brouillard, en se demandant où va le monde.
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