De retour de Fukushima, où le silence et les mensonges tuent
Par Corinne Lepage | Présidente de Cap21 | 02/09/2011 | 19H10
Depuis plusieurs semaines déjà, la catastrophe de
Fukushima
ne fait plus la une de l'actualité. Pour l'immense majorité de nos
concitoyens, la question est réglée et il va quasi de soi que Tepco, et
Areva pour ce qui est du traitement des eaux polluées, maîtrisent
parfaitement la situation.
Les personnes qui devaient être évacuées l'ont été, le taux de
radioactivité baisse et le
Japon,
vu de France, est prêt à faire redémarrer des centrales. Du reste,
régulièrement, la presse, informée par les soins du lobby nucléaire
français, indique que telle ou telle centrale va redémarrer.
Cela est dramatiquement et tragiquement faux.
Des millions de mètres cube d'eau contaminée
Tout
d'abord, les autorités japonaises - j'ai rencontré le secrétaire d'Etat
à l'Environnement, le vice-ministre de l'Environnement et le
vice-gouverneur de Fukushima - reconnaissent que la catastrophe est en
cours et que rien n'est réglé. Les informations sont très rares.
Les
autorités admettent que trois cœurs nucléaires ont fondu et que les
cuves ont été transpercées. Cependant, ils ignorent ce qu'il se passe
aujourd'hui, en particulier ce point vital de savoir si le radié a été
percé par le corium ou non, ce qui signifierait, bien entendu, la
pollution irréversible de la nappe phréatique.
Concernant le
traitement de l'eau, Greenpeace considère qu'il vient à peine de
débuter. Les autorités reconnaissent l'entassement de boues radioactives
dont évidemment personne ne veut parler mais aussi les millions de
mètres cube d'eau contaminée.
Les dosimètres encore bloqués à l'aéroport
En
second lieu, et c'est tout aussi préoccupant, la situation des familles
qui vivent dans la région de Fukushima est, au sens propre du terme,
véritablement tragique. J'ai passé près de deux heures avec
l'association, qui regroupe plusieurs centaines de familles et qui est
animée par des femmes déterminées et révoltées.
On peut les comprendre. Ce qui leur est arrivé rappelle de très près ce que nous avons vécu avec
Tchernobyl et la manière dont les choses se mettent en place nous renvoie au spectre du passé.
Tout
d'abord, et même si on peut comprendre que, vivant en même temps un
tremblement de terre et un tsunami, la situation était passablement
désorganisée, l'organisation météorologique japonaise était tout de même
dans l'incapacité suspecte de fournir les cartes des vents au moment de
la catastrophe de Fukushima. Les populations n'avaient aucune idée d'où
venaient les vents.
Aucune instruction ne leur a été donnée,
aucune pastille d'iode ne leur a été distribuée. Il a fallu attendre
plus d'un mois pour qu'elles puissent disposer d'une information
publique sur le niveau de contamination et aujourd'hui, ce sont 40 000
dosimètres qui restent bloqués par décision politique à l'aéroport de
Tokyo. Les familles ne savent donc pas quel est le niveau de la
radioactivité dans laquelle elles vivent.
Les mères inquiètes pour leurs enfants
Sur
le plan de l'alimentation, des prélèvements sont faits mais leurs
résultats sont donnés bien après que les aliments ont été mis sur le
marché et consommés. L'essentiel pour ces mères est, bien entendu, la
situation de leurs enfants.
Au Japon, comme partout dans les pays membres de
l'AIEA,
le niveau admissible pour les populations est de 1 millisievert par an.
Il est de 20 millisieverts pour les travailleurs du nucléaire.
Aujourd'hui, dans les zones où vivent ces gens, dans la préfecture de
Fukushima, le niveau est largement supérieur avec 5 millisieverts,
jusque parfois 20 millisieverts.
Ces femmes exigent pour leurs
enfants comme pour elles-mêmes le droit de vivre dans un environnement à
1 millisievert. Le problème est que personne n'a les moyens de répondre
positivement à leurs questions.
Il faut envisager une évacuation plus large
Deux
solutions sont envisageables : soit la décontamination - et on en parle
beaucoup au Japon - soit l'évacuation. Il semblerait que quelques cours
de récréation aient fait l'objet d'une décontamination, qui consiste à
retirer 50 à 60 cm de terre, dont on ne sait du reste pas où on va la
stocker.
Cela permet de réduire le niveau de la pollution.
C'est peut-être possible au niveau local avec des résultats qu'il
conviendrait de vérifier. C'est évidemment impossible à l'échelle d'une
préfecture entière.
De ce fait, c'est bien la deuxième solution
qu'il faut envisager. Elle consiste bien évidemment à permettre aux gens
qui le veulent de partir. Mais pour qu'ils puissent s'en aller, encore
faut-il leur permettre d'aller vivre ailleurs.
La vérité de la
situation, et c'est là tout son aspect tragique, c'est que les autorités
japonaises font ce qu'elles peuvent dans une certaine mesure.
Toutefois, puisque l'information est confisquée, les moyens donnés aux
gens pour connaître la réalité de la situation leur sont refusés.
Les agriculteurs pas indemnisés
Du
point de vue du changement et des décisions techniques à prendre, le
monde agricole n'est pas en reste et devient lui aussi victime de la
défaillance des autorités.
La préfecture de Fukushima promeut
les produits agricoles de la région de Fukushima et se plaint des
mauvaises rumeurs qui les concernent. Il m'a été fait cadeau d'un
magnifique cageot de pêches. La vérité est, bien entendu, que l'immense
majorité des produits de cette zone ne devrait pas être consommée mais
pour qu'ils ne le soient pas, encore faut-il que les agriculteurs qui
les produisent puissent être indemnisés et gagner leur vie. Or, tel
n'est pas le cas.
Cette situation absolument tragique à laquelle
est exposée le Japon s'exprimerait ainsi pour tout pays industrialisé,
les mêmes risques produisant probablement les mêmes effets. C'est
précisément la raison pour laquelle la chape du silence s'est mise sur
le Japon.
Les médecins montent des réseaux parallèles
Les
médecins n'ont plus le droit de parler et n'osent plus parler. Il
semblerait qu'un réseau de pédiatres essaye de se mettre en place, que
certains médecins, notamment dans les zones rurales, essayent
d'organiser la population de manière à ce qu'elle se protège le mieux
possible et qu'un suivi médical puisse être mis sur pied.
Mais
tout ceci se fait par une voie citoyenne, par une voie parallèle,
j'allais dire occulte, car de manière tout à fait évidente. Les
autorités nucléaires ont décidé qu'il n'y aurait pas de connaissances
fines et précises des effets épidémiologiques de cette catastrophe.
C'est
contre ce mur de silence qu'il convient que, nous tous, nous nous
révoltions car il s'agit d'enfants et les enfants de Fukushima
pourraient être enfants de Fessenheim, du Buget ou du Blayet. C'est
notre responsabilité de parler, d'agir et d'aider les associations qui
se battent avec les plus grandes difficultés sur place.
Chut, le Japon va sortir du nucléaire
En
revanche, les autorités japonaises, qui mesurent très probablement
leurs limites, même si elles ne peuvent pas l'exprimer, semblent avoir
pris une vraie décision : celle de sortir du nucléaire.En effet, il faut
savoir, et cette information est soigneusement cachée en France pour
des raisons que chacun peut comprendre, que le Japon a réduit de 28% sa
consommation électrique depuis Fukushima et près de 40% dans la région
de Tokyo. Il n'y a plus aujourd'hui que 14 réacteurs qui sont en
activité sur 57.
Cette réduction massive a été obtenue par un
éventail de mesures : par exemple, l'extinction des lumières dans les
ministères pendant la journée, l'absence de climatisation (malgré les 38
degrés qu'il faisait à Kyoto voici quelques jours), l'extinction des
grandes publicités dans Tokyo le soir ou une organisation différente du
système de production industrielle qui travaille en roulement et qui a
ainsi permis d'obtenir ce résultat remarquable.
Aussi, quand
nous, Européens, nous demandons si nous arriverons à faire moins 20%
d'ici 2020, il y a beaucoup à apprendre de nos amis japonais. Le nouveau
Premier ministre l'a affirmé lors de sa campagne électorale : le Japon
est décidé à ne plus construire de nouvelles centrales nucléaires, ce
qui veut dire qu'il va sortir du nucléaire.
Quand ? Cela
dépend, bien sûr, des stress-tests qui seront réalisés et de la
réouverture ou non des centrales nucléaires fermées aujourd'hui en
raison de la maintenance d'ici mars 2012.