J'ai trouvé cet article de La Croix trop intéressant pour ne pas en faire profiter ceux qui lisent ce blog... L'article est un peu long, mais quand on achète des vêtements, bien peu savent ce qui se passe avant... Auteur de l'article : Alain GUILLEMOLES, à
DACCA
Reste à se poser des questions, et non des moindres sur le profit des uns qui provoque l'aliénation des autres, comme d'habitude. Comment provoquer le changement pour créer une société où tout soit "gagnant-gagnant" ?
Coup d'envoi des soldes :
enquête au Bangladesh, l'autre atelier du monde
Alors que les soldes débutent
en France mercredi 9 janvier, La Croix a enquêté au Bangladesh
sur les conditions de production de la filière textile.
Ce pays, devenu le deuxième
exportateur mondial (derrière la Chine), s’est fait une spécialité de produire
à bas prix et en grandes séries pour les marques internationales.
Les ouvrières paient cher ce
développement en travaillant six jours sur sept pour 50 € par mois.
Le 24 novembre dernier, le feu a pris au
rez-de-chaussée de l’usine Tazreen Fashion,
un bâtiment de huit étages dans les environs de Dacca, la capitale du
Bangladesh. Cette usine employait 1 700 salariés. Elle fabriquait
notamment des sweat-shirts pour les boutiques des parcs Disney. Les salariés
sont restés coincés dans les étages.
Ils n’ont pas utilisé les extincteurs, soit parce
qu’ils ne savaient pas s’en servir, soit parce que ces appareils étaient hors
d’usage. Au final, 112 personnes ont perdu la vie.
Les victimes sont surtout des femmes, employées
en grand nombre sur les lignes de machines à coudre. Les survivants ont
rapporté que les gardiens avaient fermé les portes de l’usine, empêchant le
personnel de sortir, par peur du vol de marchandises. « Les gardes ne
reçoivent qu’une seule instruction : protéger la production. Alors, ils ne
pensent qu’à cela », explique, amère, Selima Akhtar, dirigeante
d’un cabinet d’audit, Impactt Ltd, spécialiste du secteur textile.
L’industrie textile, seule source de devises pour le pays
À Ashulia, la zone industrielle où Tazreen était
installée, les ouvriers ont manifesté leur colère. Des véhicules ont été
brûlés, la police est intervenue. Les propriétaires d’usines ont provisoirement
fermé les ateliers. Puis une commission d’enquête a été créée ; des
indemnités ont été versées aux familles de victimes. Et la situation est
revenue à la normale, c’est-à-dire un quotidien où les esprits sont tournés
uniquement vers un but : produire.
En trente ans, le textile est en effet devenu la
principale industrie et la première source de devises du Bangladesh,
représentant 80 % de ses recettes à l’exportation. Ce pays est désormais
le deuxième exportateur mondial de vêtements, derrière la Chine. Une véritable
aubaine, pour ce pays pauvre, sans autre ressource que sa population, et qui
semblait éternellement vouée à vivre de l’aide internationale.
Le Bangladesh compte aujourd’hui près de
5 000 usines de production textile. Le secteur emploie quatre millions de
personnes. Un jean sur dix portés dans le monde vient du Bangladesh.
Le Bangladesh meilleur marché que la Chine
Le pays est équipé pour répondre aux énormes
commandes des grandes enseignes, telles H & M ou Zara, mais aussi
Carrefour, Wall Mart, C & A ou Auchan. Des commandes qui vont de
200 000 à 500 000 pièces d’un même vêtement. Aux abords des grandes
villes, des zones industrielles comptent plusieurs centaines d’usines qui
emploient de 1 000 à 5 000 salariés chacune.
« Le textile est une industrie de
main-d’œuvre, qui ne peut être automatisée, indique Nizam Uddin,
directeur d’un bureau d’achat. Voilà pourquoi elle va vers les pays où la
main-d’œuvre est la moins chère. » Avec ses bataillons
d’ouvrières payées de 30 à 70 € par mois, le Bangladesh reste au meilleur
coût, tandis que les salaires augmentent en Chine. « Ici, nous sommes
en mesure de produire des tee-shirts pour 1 € à 2 € la pièce, des
pantalons pour 4 € à 8 € et des chemises pour 4 € à
6 € », indique Nizam Uddin.
Comment est-ce possible ? T.Garments est
une de ces usines comme il y en a beaucoup. Située au-dessus d’un centre
commercial, dans un faubourg de Dacca, la tentaculaire capitale du Bangladesh,
l’usine s’étend sur quatre étages de 600 m² chacun. L’entrée est
surveillée par un garde en uniforme kaki et barrée d’un rideau métallique à
demi tiré.
les ouvrières font toujours la même couture
À l’intérieur, ce ne sont que des lignes de
machines à coudre. Le travail se fait dans le bruit des ventilateurs et des
haut-parleurs qui diffusent de la musique.
La division des tâches est extrême. Chaque
ouvrière ne réalise qu’une couture, toujours la même, avant de passer le
vêtement à la personne devant elle. En remontant une ligne, on peut voir un
blouson prendre forme. « Chaque opératrice fait 60 pièces par
heure », indique le directeur de production, un petit homme à la
mine chiffonnée. Il faut une ligne de 24 machines pour faire un tee-shirt, et
de 60 pour un pantalon.
Les vêtements sont ensuite contrôlés, puis
repassés et emballés. Ils reçoivent même leur étiquette définitive, munie du
prix. Il est quatre à six fois plus élevé que celui touché par l’usine.
Une « police industrielle »
La croissance du secteur a été phénoménale au
Bangladesh, durant les dernières années. Succès qui est à la fois une chance et
une plaie. Grâce au textile, le Bangladesh a pu faire reculer la grande
pauvreté. Mais cette réussite repose sur le fait que le secteur verse les
salaires les moins élevés de toute la région. Cela provoque une frustration
extrême chez les ouvriers.
Dans les usines, le moindre incident peut
dégénérer en émeute. Le gouvernement a créé une « police
industrielle » spécialement chargée de repérer et arrêter les meneurs des
grèves. « À chaque fois que se produisent des incidents, les
propriétaires d’usines blâment les syndicats ; ils les accusent de mettre
en danger un secteur vital pour l’économie du pays », regrette
Nasimul Ahsan, juriste et conseiller des organisations ouvrières.
En 2010, le pays a connu plusieurs semaines de
troubles qui ont interrompu la production. De nouveaux troubles se sont
produits au printemps dernier. Au point que les grands clients ont accompli un
geste inhabituel : en juin dernier, ils ont adressé une lettre au premier
ministre du Bangladesh. La Croix s’en est procuré une copie.
Les groupes textiles exigent le respect de normes sociales
Elle disait : « En tant
qu’acheteurs, nous ne soutenons pas les protestations violentes, mais nous
reconnaissons qu’elles sont devenues un moyen, pour les ouvriers, de soulever
leurs problèmes. (…) Ces protestations nuisent à notre capacité de
passer commande au Bangladesh. » Elle demandait la mise en place
d’un mécanisme d’augmentation graduelle du salaire minimum, aujourd’hui de
30 €.
Elle était notamment signée de H & M, Tesco,
C & A, Carrefour… Cela n’a pas fait fléchir le premier ministre. « Ici,
les propriétaires d’usines sont très influents. Beaucoup sont députés ou
propriétaires de grands médias. Ils font la politique économique du
gouvernement », constate un observateur.
Les grands acheteurs exigent bien de leur
sous-traitant le respect d’un cahier des charges qui inclut des normes
sociales. Cette vigilance a été efficace, dans le passé, pour faire reculer le
travail des enfants, qui a quasiment disparu du secteur textile au
Bangladesh.
600 morts dans des incendies d’usines depuis 2005
Mais bien d’autres exigences ne sont pas
respectées. L’usine Tazreen Fashion n’avait pas de sortie de secours. Elle
était prévue pour compter trois étages, mais cinq étages supplémentaires
avaient été ajoutés en toute illégalité…
Dans la zone industrielle d’Ashulia, au lendemain
de l’incendie, les pompiers ont mené des contrôles. Ils ont révélé que 64
usines sur 232 n’avaient pas le moindre dispositif anti-incendie. Depuis 2005,
des feux dans des usines textiles du Bangladesh ont fait plus de 600 victimes,
selon un décompte de l’International Labor Right Forum.
« Je ne crois pas à la sincérité de
la démarche des acheteurs », clame Amirul Haque Amin, président
de la National Garment Workers Federation, le plus gros syndicat des ouvriers
du textile. « D’un côté, ils disent vouloir une amélioration des
conditions de travail, mais, de l’autre, ils font pression sur les usines pour
qu’elles baissent toujours plus leurs prix. »
Les interlocuteurs des usines sont en effet les
responsables des achats des grandes marques. Or, ils n’ont en tête que deux
choses : le délai d’exécution de la commande et son prix.
Les exigences croissantes des marques
En témoigne Emmanuelle Lévêque. C’était
précisément son métier : basée à Dacca dans un de ces bureaux d’achats qui
travaillent pour les marques, cette Française négociait et surveillait
l’exécution des commandes dans les usines textiles. « Quand il y avait
du retard, je me retrouvais à dire aux responsables de l’usine :
“Débrouillez-vous !” Je savais bien que ce serait au prix d’heures
supplémentaires. Mais j’étais moi-même sous pression. » Elle a
depuis quitté ce travail pour créer sa propre marque de prêt-à-porter
équitable.
Tout le secteur textile vit aujourd’hui avec la
nécessité de produire de moins en moins cher et de renouveler de plus en plus
souvent les collections. Dans les grandes enseignes comme Gap, Zara ou
H & M, de nouveaux produits doivent arriver en rayons tous les
quinze jours dans les magasins du monde, avec des prix tenus. Cela n’est
possible que parce que la base de production est au Bangladesh.
« Cela fait quinze ans que je
travaille dans le textile. Les exigences des marques ne cessent de monter. Mais
le prix d’achat, lui, n’a pas varié », constate Sumon Sandro,
coordinateur dans un bureau d’achat indépendant, qui ajoute : « Les
marques continuent de se battre pour grappiller le moindre centime. Après
Tazreen, elles ont demandé un renforcement de la sécurité dans les usines, mais
elles n’ont rien lâché sur les prix, au contraire. Alors, comment les choses
pourraient changer ? » se demande-t-il.
Comment se décompose le prix d’un vêtement
fabriqué au Bangladesh
Sur une pièce achetée 10 € à sa sortie
d’usine au Bangladesh : 6 € seront destinés à l’achat de matières
premières (tissus, fermetures éclairs, boutons, accessoires).
- 1,80 € servira à payer les coûts
industriels (énergie, amortissement des machines à coudre, marge).
- 1,90 € sera destiné à couvrir le coût du
travail pour la coupe du tissu, la couture, le repassage.
- 10 centimes seront pour l’emballage.
- 10 centimes couvriront les tests matières, la
teinture et le lavage.
- 10 centimes couvriront la commission du bureau
d’achat, l’intermédiaire local veillant à l’exécution de la commande.
- Le transport en conteneur, par bateau, et la
livraison chez un détaillant coûteront au total 50 centimes. Vendu dans
les enseignes de la grande distribution ou en boutique, le prix final
représente 3 à 6 fois le coût d’un vêtement à sa sortie d’usine. Cela couvre à
la fois les frais de conception, en amont, puis le stockage et le
fonctionnement du magasin, en aval, ainsi que les frais de publicité, les taxes
et la marge, qui peut varier énormément selon la marque.
L’industrie textile au Bangladesh
Elle a pris son essor dans les années 1980, sous
l’effet d’investissements étrangers : indiens, chinois ou européens.
Toutefois, 70 % des usines sont détenues par des Bangladais. Plus de
5 000 usines locales emploient aujourd’hui 4 millions de personnes.
Le secteur a connu une croissance de 25 % en 2010 et 30 % en
2011.Selon une étude du cabinet McKinsey, les exportations de produits textiles
du Bangladesh devraient être multipliées par trois d’ici à 2020. Le pays est
freiné par la faiblesse de ses infrastructures : les coupures
d’électricité et le manque de capacité des ports. Mais il bénéficie
du fait que le coût du travail y est parmi les moins élevés d’Asie. De plus,
les usines se montrent flexibles, capables de répondre rapidement à de grosses
commandes. Le salaire minimum était de 17 € par mois au Bangladesh
jusqu’en 2010. À la suite d’une longue grève cette année-là, il a été porté à
30 € et n’a pas bougé depuis.
85 % des salariés du secteur textile au
Bangladesh sont des femmes. La grande pauvreté recule au Bangladesh : la
part de population vivant sous le seuil de pauvreté était de 49 % en 2000,
elle est passée à 32 % en 2010.
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