dimanche 6 mai 2012

Dépouillement

On peut prendre ce terme de dépouillement avec plusieurs sens. Celui de se priver de ses biens, de ses pensées même en ce jour de vote pour élire un nouveau président de la République. Voter puis ne plus penser et laisser passer le temps en allant se promener au soleil regarder les belles villas avec piscine de mon quartier, les pelouses bien tondues, les fleurs qui commencent à éclore de partout, les nouvelles constructions sur des terrains à quatre mille euros le mètre carré. Mais c'est aussi aller aider au dépouillement, non pas de ces habitants aisés, et souvent fort gentils, qui pourraient dans un élan de générosité vous faire profiter de leur jardin ou de leur piscine, mais au dépouillement des votes de ce jour à l'école du coin. 
Installation donc par groupe de cinq, une personne ouvrant l'enveloppe et tendant le bulletin à la deuxième personne qui lit le nom, deux autres personnes avec des feuilles de relevé qui font une barre chaque fois qu'un nom est prononcé, soit dans la case Sarkozy, soit dans la case Hollande. Au bout de dix bâtons sur un nom, on recompte tous les bulletins pour voir si on est d'accord et au bout de cent on récapitule pour vérifier. La cinquième personne recueille les bulletins qu'elle classe par nom et agrafe par groupe de dix. Les bulletins nuls, soit rien dans l'enveloppe, soit deux bulletins avec des noms différents, soit un bulletin avec un autre nom (il y a treize cas de nullité possible !) sont décomptés et mis de côté.
Au début, Hollande commence en fanfare et je me dis, houlà, ça commence fort ! mais au bout de dix bulletins il faut bien déchanter et le nom lancinant de "Nicolas Sarkozy" se dandine de table en table, rebondit sur les feuilles de relevé, retentit comme en écho aux tables de dépouillement voisines, s'ajoute toujours plus sur la page aux bâtonnets. Je finis presque par garder le stylo coincé sur la colonne "Sarko" et je me dis, non, ce n'est pas possible que tout le monde ait voté pour lui... et les dizaines de s'enchaîner, et la pauvre colonne du côté de Hollande toute rabougrie qui peine à allonger de quelques barres pour finir une dizaine. Les bruits des bureaux à côté font qu'il semblerait que ce soit partout pareil. Cela devient lancinant, provoquant, choquant, agaçant, troublant, inquiétant. Et la colonne de s'allonger et les bulletins de s'entasser et la voix de mon voisin (en face mais de gauche) se troubler à peine pour continuer à énoncer "Nicolas Sarkozy" à rythme régulier, sa voisine tendant chaque nouveau bulletin sans ciller des yeux. Bien sûr personne n'a le droit de faire de commentaires, nous sommes là pour dépouiller les enveloppes, sortir les bulletins, les enregistrer, les compter. Point. Pas d'état d'âme, pas de soupir suspect, pas de sourire en coin, pas de regard traumatisé. Bonté, mais c'est normal, au premier tour l'énorme majorité avait déjà voté pour Sarkozy, puis pour Bayrou, puis pour Le Pen, donc pas de souci, enfin, pas trop si on fait le compte ça tient la route. Mais quand même, ça donne un peu quelques gouttes de sueur dans le dos, quelques questions dans les circonvolutions du cerveau, et si tout le monde avait voté de cette même façon, partout en France ?
Nous arrivons au bout de nos quatre cents enveloppes, nous faisons le compte, et nous obtenons plus de soixante dix pour cent pour Sarko... Bigre, il fait une bonne radée dehors, restons couvert, et laissons passer l'orage... 
Comme nous sommes une commune normale nous terminons le dépouillement avant vingt heures, alors vite je file à la maison après avoir entendu certains dirent délicatement que c'est éprouvant de dépouiller dans une commune de droite... 
Et à 20 heures, les estimations... et dans le ciel alors je prends la photo que voici :
un double arc-en-ciel !

1 commentaire:

le blog des berry a dit…

très poétique...