Il me semble primordial de publier sur ce blog cet article du journal La Croix de ce jour qui nous met au coeur de nos préoccupations indiennes actuelles : le droit à l'eau potable pour tous.
Selon Gérard Payen (1), un des meilleurs spécialistes du sujet, la poursuite des efforts n’apparaît plus prioritaire.
À quoi sert une journée mondiale de l’eau ?
Gérard Payen : À
se rendre compte des problèmes, car dans les pays développés, les
questions d’accès à l’eau ne sont pas des sujets prioritaires. Il s’agit
aussi d’un domaine où la compréhension des enjeux n’est pas très bonne,
car il y a beaucoup d’idées reçues.
En France, par exemple, la
majorité des gens pense que l’eau potable sort des stations d’épuration.
Ce n’est pas le cas. On croit aussi en général que le développement de
l’accès à l’eau potable est un problème de ressources en eau. C’est
faux. Il y a de nombreux pays qui regorgent d’eau, mais dont une part
importante de la population n’a pas d’eau potable. Tout cela conduit à
une sous-estimation des problèmes.
Partout, on voit le même
chiffre : 800 millions de personnes n’auraient pas accès à l’eau
potable. Cette statistique de l’ONU est mal interprétée. Il s’agit en
fait de gens qui partagent leur source d’eau avec des animaux, avec donc
des risques importants de contamination. Mais il ne faut pas oublier
tous ceux qui ont de l’eau au robinet sans qu’elle soit potable.
Au
total, au moins 3,5 milliards de personnes n’ont pas un accès
satisfaisant à l’eau potable en conformité avec leur droit de l’homme,
soit la moitié de l’humanité.
La situation s’améliore-t-elle ?
G. P. : En
2000, la mise en place des Objectifs du millénaire pour le
développement a créé de fortes incitations à progresser. Des progrès
indéniables ont été faits. Dix ans après, un milliard de personnes de
plus étaient dans la situation de ne pas partager leur eau avec des
animaux.
Les objectifs du Millénaire ont aussi permis d’avoir une
meilleure connaissance des enjeux et de stimuler les politiques
nationales, notamment dans les pays pauvres. Mais il faudrait des
programmes plus ambitieux pour satisfaire les besoins et arrêter la
dégradation de l’accès à l’eau dans les villes confrontées à une
urbanisation rapide.
Est-ce d’abord une affaire de moyens ?
G. P. : Les
moyens dépendent d’abord de décisions politiques, car l’accès à l’eau
potable est une question collective. Je peux choisir d’avoir ou non un
téléphone mobile, mais pour disposer d’eau potable, je ne peux pas
décider tout seul. J’ai besoin d’un service public. C’est pour cela
qu’il y a dans plusieurs pays d’Afrique plus de gens ayant un portable
que de personnes avec accès à l’eau potable.
Selon les pays en
développement, les sommes dépensées pour l’eau et l’assainissement
représentent entre 0,5 % et 2 % du PIB. C’est un bon indicateur des
différences de priorités politiques. Pour quantifier les moyens à mettre
en œuvre, il faut aussi pouvoir mesurer l’ampleur des besoins et
identifier les priorités : l’accès à l’eau potable, l’accès à
l’assainissement ou la gestion de la ressource. Il y a, par exemple,
1,2 milliard de personnes qui n’ont pas accès à des toilettes, dont une
partie habite en ville.
L’accès à l’eau potable reste-t-il une priorité à l’échelle mondiale ?
G. P. : Il
y a un gros point d’interrogation. Les Objectifs du millénaire
s’achèveront en 2015 et les négociations ont démarré aux Nations unies
sur ce qui se passera après. On parle d’Objectifs de développement
durable, mais nous sommes loin d’un consensus sur leur contenu et cela
part un peu dans tous les sens. Aujourd’hui, en tout cas, il y a un vrai
risque que l’eau ne soit plus un objectif de développement en 2016.
Pour
des raisons de mode et d’élargissement des sujets, il y a en effet
beaucoup de dossiers légitimes sur la table, comme les questions de
changement climatique, de maîtrise de l’urbanisation ou encore d’emploi
décent. Le problème est la hiérarchisation des nombreux enjeux de
développement car s’il y a trop d’objectifs, ils ne seront pas visibles,
malgré des ambitions élevées.
Mon combat est que l’eau soit un
objectif à part entière afin d’entraîner les progrès dont le monde a
besoin en matière d’accès à l’eau potable et à des toilettes décentes
ainsi que de dépollution des eaux usées.
(1)
Conseiller du secrétaire général des Nations unies pour l’eau et
l’assainissement, président de la Fédération internationale des
opérateurs privés de services d’eau (Aquafed).