jeudi 28 mars 2013

Bénarès, un jour d'orage

C'est notre dernier jour à Bénarès. Lever matinal, petit effort mais grand plaisir que de pouvoir se promener avant l'aube sur les escaliers qui bordent le Gange. Nous ne sommes que deux à profiter de cette douceur tranquille après les folies de Holi ! Nous allons jusqu'aux ghats principaux, accueillons quelques grosses gouttes de pluie, puis partons un peu à l'aventure à travers les ruelles. Quelques photos de cette escapade avant de rentrer sur Delhi qui racontent le quotidien et le banal. Mais où se situe le banal en Inde ?

avec l'annonce de l'orage, les couleurs ont pris un ton de gris qui semble
rehausser les autres couleurs. Cela donne une ambiance peu ordinaire sur
les ghats

Au lever du jour, le jeune brahmane vient célébrer le Gange
les pandits s'installent sous leur parasol et attendent les pèlerins

Pas grand monde ce matin pour louer une barque !
Un sadhu qui vient de se "purifier" dans le fleuve sacré, a un regard vers le
ciel, la pluie va arriver.
un groupe de pèlerins discutent devant un petit temple
et des sadhus eux profitent d'un banc devant le Gange

Une chèvre déguste les roses offertes au lingam de Shiva, mais
comment est-elle entrée ?

Retour à la maison avec le petit pot d'eau du Gange
le barbier a déjà installé sa minuscule boutique
méditation tranquille en regardant le fil de l'eau

profiter du petit vent frais pour faire sécher son linge...
ou le poser sur les marches en espérant qu'un chien ne viendra pas y mettre les pattes !
dernière prière en hommage à Shiva avant de rentrer
Dans une des ruelles de la vieille ville : que la lumière soit ! et qu'elle illumine
votre journée !

vendredi 22 mars 2013

Journée mondiale de l'eau

Il me semble primordial de publier sur ce blog cet article du journal La Croix de ce jour qui nous met au coeur de nos préoccupations indiennes actuelles : le droit à l'eau potable pour tous.

Selon Gérard Payen (1), un des meilleurs spécialistes du sujet, la poursuite des efforts n’apparaît plus prioritaire.

 À quoi sert une journée mondiale de l’eau ?
 Gérard Payen : À se rendre compte des problèmes, car dans les pays développés, les questions d’accès à l’eau ne sont pas des sujets prioritaires. Il s’agit aussi d’un domaine où la compréhension des enjeux n’est pas très bonne, car il y a beaucoup d’idées reçues.
En France, par exemple, la majorité des gens pense que l’eau potable sort des stations d’épuration. Ce n’est pas le cas. On croit aussi en général que le développement de l’accès à l’eau potable est un problème de ressources en eau. C’est faux. Il y a de nombreux pays qui regorgent d’eau, mais dont une part importante de la population n’a pas d’eau potable. Tout cela conduit à une sous-estimation des problèmes.
Partout, on voit le même chiffre : 800 millions de personnes n’auraient pas accès à l’eau potable. Cette statistique de l’ONU est mal interprétée. Il s’agit en fait de gens qui partagent leur source d’eau avec des animaux, avec donc des risques importants de contamination. Mais il ne faut pas oublier tous ceux qui ont de l’eau au robinet sans qu’elle soit potable.
Au total, au moins 3,5 milliards de personnes n’ont pas un accès satisfaisant à l’eau potable en conformité avec leur droit de l’homme, soit la moitié de l’humanité.
 La situation s’améliore-t-elle ?
 G. P. : En 2000, la mise en place des Objectifs du millénaire pour le développement a créé de fortes incitations à progresser. Des progrès indéniables ont été faits. Dix ans après, un milliard de personnes de plus étaient dans la situation de ne pas partager leur eau avec des animaux.
Les objectifs du Millénaire ont aussi permis d’avoir une meilleure connaissance des enjeux et de stimuler les politiques nationales, notamment dans les pays pauvres. Mais il faudrait des programmes plus ambitieux pour satisfaire les besoins et arrêter la dégradation de l’accès à l’eau dans les villes confrontées à une urbanisation rapide.
 Est-ce d’abord une affaire de moyens ?
 G. P. : Les moyens dépendent d’abord de décisions politiques, car l’accès à l’eau potable est une question collective. Je peux choisir d’avoir ou non un téléphone mobile, mais pour disposer d’eau potable, je ne peux pas décider tout seul. J’ai besoin d’un service public. C’est pour cela qu’il y a dans plusieurs pays d’Afrique plus de gens ayant un portable que de personnes avec accès à l’eau potable.
Selon les pays en développement, les sommes dépensées pour l’eau et l’assainissement représentent entre 0,5 % et 2 % du PIB. C’est un bon indicateur des différences de priorités politiques. Pour quantifier les moyens à mettre en œuvre, il faut aussi pouvoir mesurer l’ampleur des besoins et identifier les priorités : l’accès à l’eau potable, l’accès à l’assainissement ou la gestion de la ressource. Il y a, par exemple, 1,2 milliard de personnes qui n’ont pas accès à des toilettes, dont une partie habite en ville.
 L’accès à l’eau potable reste-t-il une priorité à l’échelle mondiale ?
 G. P. : Il y a un gros point d’interrogation. Les Objectifs du millénaire s’achèveront en 2015 et les négociations ont démarré aux Nations unies sur ce qui se passera après. On parle d’Objectifs de développement durable, mais nous sommes loin d’un consensus sur leur contenu et cela part un peu dans tous les sens. Aujourd’hui, en tout cas, il y a un vrai risque que l’eau ne soit plus un objectif de développement en 2016.
Pour des raisons de mode et d’élargissement des sujets, il y a en effet beaucoup de dossiers légitimes sur la table, comme les questions de changement climatique, de maîtrise de l’urbanisation ou encore d’emploi décent. Le problème est la hiérarchisation des nombreux enjeux de développement car s’il y a trop d’objectifs, ils ne seront pas visibles, malgré des ambitions élevées.
Mon combat est que l’eau soit un objectif à part entière afin d’entraîner les progrès dont le monde a besoin en matière d’accès à l’eau potable et à des toilettes décentes ainsi que de dépollution des eaux usées.

(1) Conseiller du secrétaire général des Nations unies pour l’eau et l’assainissement, président de la Fédération internationale des opérateurs privés de services d’eau (Aquafed).
Recueillis par Jean-Claude Bourbon 
fontaine d'eau potable dans un village tribal du Jharkhand,
fournie par le gouvernement

jeudi 21 mars 2013

Bokaro : les mines de charbon


Bokaro, les mines illégales
Aujourd’hui nous partons faire encore bien des kilomètres en voiture pour aller dans la région de Bokaro à la rencontre des mineurs. Mais pas n’importe lesquels. Ils font partie des peuples tribaux du Jharkhand, ils voient tous les jours les énormes machines dévorer leurs terres, dévaster leurs forêts, polluer leur eau. Ils se battent, mais avec le principe de la non-violence chère à Gandhi et demandent sans cesse au gouvernement de leur donner une terre pour avoir de quoi vivre et nourrir leur famille. Ils travaillent dans les entrailles de cette terre, tous les jours, sans relâche, par équipe de dix, à tailler dans la colline pour extraire du charbon. Leurs mines font des centaines de mètres, jusqu’à un kilomètre de profondeur, et ils étayent du mieux qu’ils peuvent mais parfois, ils ont peur que tout s’écroule. Cela arrive de temps en temps et fait des morts. Ils veulent la reconnaissance légale de leur travail. Ils veulent pouvoir travailler sans le harcèlement de la police ou de la mafia qui travaillent main dans la main. Ils aimeraient vendre leur production à un juste prix. Pendant la journée, à dix, ils extraient quatre tonnes de charbon, qu’un tracteur vient charger pour deux mille roupies (30 euros), soit deux cents roupies (3 euros) par jour de travail.
Si ce travail était légalisé, ils pourraient se constituer en coopératives et vendre alors ce charbon au prix officiel du marché de huit mille roupies la tonne soit trente deux mille roupies par jour (480 euros). Mais le gouvernement, en collusion avec les sociétés minières, refusent de légaliser leur travail.
Nous partons à leur rencontre après quelques kilomètres de chemins défoncés dans la forêt, en voiture puis nous sommes obligés d’aller à pied. Quelqu’un qui les connaît bien nous a devancés en moto pour les avertir de notre venue afin qu’ils ne croient pas que ce soit la police qui arrive.
Pour augmenter la tension, la forêt brûle un peu partout, ils font du nettoyage et les feuilles sèches crépitent sous la chaleur des flammes. Certaines prennent un peu peur et veulent rebrousser chemin. Mais les arbres ne brûlent pas et même si paradoxalement on ne voit personne pour surveiller ces feux, ils seront éteints lors de notre retour.
le chemin de tous les risques ?
c'est impressionnant de voir le feu qui avance et nous entoure
Au bout d’un certain temps, nous arrivons aux entrées des mines qui s’échelonnent tout au long du chemin comme des entrées de trous de marmottes. Nous nous glissons dans une des entrées, toute fraîche, il fait très noir, nous ne distinguons que de toutes petites taches de lumière éparpillées autour de nous, telles des lucioles qui papillonnent. Ce sont les toutes petites torches des mineurs qu’ils accrochent au niveau de l’oreille en les coinçant dans leur turban.
une entrée de mine
l'aventure ?
Nos yeux s’habituent progressivement et ils nous montrent comment ils travaillent, leur installation, les galeries. Comment ils fuient au fond des galeries quand la police arrive, car elle n’ose pas s’aventurer très loin dans ces labyrinthes obscurs.
l'intérieur de la mine qui s'enfonce ici sur un km et le plafond étayé
le charbon affleure partout mais il faut quand même taper fort
Puis nous sortons tous à l’air libre et Ram, le travailleur social qui nous accompagne, en profite pour faire un meeting et leur expliquer qu’il faut revendiquer la légalité pour leur travail, pour pouvoir manger à leur faim, pour ne plus perdre leurs terres, pour obtenir de l’eau potable. Dans cette région, déjà plus de six millions de personnes ont été déplacées à cause des mines et deux millions le seront encore dans les prochaines années si les revendications ne se font pas plus tenaces pour obliger le gouvernement à arrêter de concéder des territoires aux entreprises minières, si personne ne vient les aider et les soutenir dans ces demandes justifiées.
meeting pour information sur les droits
petit à petit les mineurs sortent des trous et viennent écouter.
Puis nous repartons voir une mine à ciel ouvert tout prêt d’ici et qui est exploité depuis une quarantaine d’années. Les couches de charbon sont en strates horizontales et il est facile d’en extraire le minerai en creusant de plus en plus la colline. La noria des camions, les machines à extraire, tout est mécanisé et ces mines n'offrent pas d’emplois aux habitants des environs qui se voient petit à petit obligés de quitter les lieux, souvent quasiment sans dédommagement car ils sont trop pauvres et illettrés.

mine à ciel ouvert, avant c'était la forêt... là-haut !
Nous imaginons avec un peu de difficulté quand même le paysage de forêts et les villages tribaux quarante ans auparavant… Et encore, là c’est une petite mine… (voir sur mon blog les articles sur d’autres lieux dans la même région).
Nous terminons la journée en allant voir la centrale thermique. L’eau noire pleine de poussière de charbon est rejetée dans des bassins de décantation.
eau rejetée dans le bassin
Le bassin rempli de ces impuretés est asséché et les camions viennent le vider pour aller de nouveau remplir les excavations où l’extraction a été terminée. Nouvelle noria de camions.
un des bassins de décantation en train d'être vidé
paysage urbain et noir... la centrale thermique.
Nous terminons notre journée pleines de poussière des pieds à la tête, l’âme bien triste, les poumons dans le brouillard, en se demandant où va le monde.

vendredi 15 mars 2013

Impressions de Calcutta



Calcutta
Vieille maîtresse décrépie, tu n’offres maintenant que des amas d’ordures et des murs délabrés aux yeux de l’occidental effaré qui débarque curieux et innocent, rafraîchi par une climatisation intense à l’intérieur d’un aéroport tout neuf. Ce dernier offre au voyageur qui va sortir une immense salle d’attente et pléthore de sièges vides et qui ne serviront jamais. Qui a envie de se rasseoir quand il vient de passer des heures coincé dans un avion ? Par contre tous ceux qui attendent sont debout à l’extérieur sur le trottoir, sans siège pour se reposer et avec interdiction d’entrer. Allez savoir la logique de la chose ?
Mais broutilles que tout cela en face de ce qui t’attend, visiteur peu habitué aux pays « en voie de développement » bien que Calcutta soit plutôt en voie d’anéantissement. Comment cette ville immense aperçue la première fois en 1983 peut se maintenir, subsister, survivre alors que tout semble se déglinguer imperceptiblement. Cette ville semble se maintenir tel un château de cartes, une façade de carton-pâte de jeux vidéos bon marché un peu trash ou de films d’horreur du début du siècle dernier, type Nosferatu le vampire.
Comme si depuis le départ des Anglais la démocratie n’avait créé ici que désespoir de murs rongés de mousse noire, d’arbres rabougris de poussière, de routes aux revêtements mités, des entrelacs de fils électriques, communs en Inde, mais qui prennent ici des proportions de gigantesques toiles d’araignée n’attrapant que des lambeaux de plastique décolorés.
Comment décrire ces impasses obscures taillées entre les masures pour une simple largeur d’épaule, ces balcons décatis à moitié écroulés où sèche le linge familial, ces cuisines de quartier noires de suie et de crasse huileuse où se cuisent les meilleurs chapatis ?
habitation de fortune sur le trottoir
cuisine de quartier s'éveillant au petit matin
et la cuisine de notre resto préféré dans Sudder Street !


en supposant que les locataires sont bien contents d'avoir un appartement !

Un ancien bel hôtel, réservé pour Indiens, avec refus de nous faire visiter les
chambres, c'est dire que ça ne doit guère correspondre aux critères occidentaux !
et les arbres sur la façade c'est très tendance !
ça vrille, ça monte et ça descend, mais ça tient !
de beaux restes de colonnes corinthiennes bien défraichies...
Un vieil immeuble avec inscrit "Photographe" sur le fronton du sommet
Sur les trottoirs des tiges de bambou surmontées de plastique cachent à peine la misère, une paillasse, du linge qui sèche, une femme dans un sari brillant qui tresse ses cheveux huilés, un minuscule bébé près de ses genoux dont on ne sait s’il est toujours vivant.
Jamais une ville m’a donné cette impression de vivre une folie inutile, de se maintenir contre vents et moussons sans autre raison que d’entretenir un mécanisme ahurissant de tramways brinquebalants, de vieux bus rafistolés, de vélos suicidaires et des nuées de taxis jaunes qui rêvent d’autos tamponneuses.
et j'allais oublier les troupeaux de chèvres, qui arrivent même à traverser sur le
passage pour piétons en respectant la pub de dessous !
je ne sais pas si le commun des habitants de Calcutta aura reconnu les Beattles
même s'ils ont eu leur heure de gloire en venant à Rishikesh
Calcutta la misère, Calcutta l’ancienne glorieuse capitale de l’empire britannique où le soleil ne se couchait jamais. A Calcutta, maintenant il se couche à 18 heures, avec bien des êtres roulés dans des chiffons à même le sol et qui ne peuvent même plus rêver.

et pourtant cet après-midi, même sous le soleil voilé, le Victoria Memorial
pouvait faire rêver...

dimanche 10 mars 2013

Spiritualité indienne


Les lieux saints en Inde sont innombrables. Tout baigne dans le divin. Et même le ventilateur qui tourne au-dessus de ma tête fait « Ram, Ram, Ram » et murmure, même un peu trop fort parfois, le nom de Dieu.
Notre dernier voyage s’est ancré dans cette tradition de pèlerinages à l’infini, de contacts quotidiens avec la Source, ce qui Est. Et du coup nous apercevons notre bonne vieille France dans un état de déliquescence spirituelle qui nous fait poser la question : où est la Réalité ?
C’est pour cela que je viens en Inde, pour me faire secouer chaque fois, me faire mettre un rappel à l’ordre, une contravention qui me dit que je suis allée trop vite dans la traversée de la Vie.

la grande statue de Shiva à la sortie de Haridwar
(photo Michèle Hennequin)
Chacun vit le divin à sa façon, chacun trouve son dieu qui lui correspond et qui va l’amener à un « plus haut » ou « plus intérieur ». Regarder le Gange qui coule, mettre une petite corbeille avec une bougie sur l’eau, assister à la cérémonie du soir avec les haut-parleurs hurlant les mantras, avec, je ne vais pas dire « la foule en délire » mais participative car concernée profondément, magiquement, simplement par cette offrande du feu à l’eau, verser du lait sur le lingam de Shiva, tourner autour d’un arbre sacré, tout ici est symbole, ouverture, offrande, conscience de l’acte.
la foule à la cérémonie de l'arati sur les bords du Gange à Haridwar
Verser de l'eau et du lait sur les symboles de Shiva au petit matin au pied
de l'arbre sacré...
Dévotion matinale avant de partir à l'école

dans le regard du Gange
Solitude et Grâce

Bien sûr il y a aussi tout ce qu’on lit dans les journaux, les viols des femmes, la terreur islamiste, la mortalité infantile la plus importante de cet endroit du globe, le combat contre la dot des filles qui ruine les familles, la corruption politicienne. Nous savons tout cela.

Mais pourquoi tant de gens qui viennent en Inde en repartent en ayant eu une autre vision d’eux-mêmes ? Bien sûr peut-être pas tous les touristes, pas tous ceux qui ne quittent brièvement leur car climatisé que pour prendre la photo de ces femmes aux saris si chatoyants, de ces enfants à qui l’on donne des bonbons et qui ont des bouilles si ravissantes mais qui ne pourront ensuite jamais se payer le dentiste au cas où.
Mais j’imagine que quand même, tous auront été un peu touchés au fond d’eux-mêmes, sentis quelque béatitude dans un temple à Shiva et Shakti, éprouvés quelque détachement par rapport au monde matériel en regardant les pèlerins de tous âges qui n’hésitent pas à marcher des centaines de kilomètres pour chercher de l’eau du Gange dans les contreforts himalayens.

Et qui sait, ensuite, une fois de retour, ce qui pourra se passer ? Un peu plus de compassion pour son voisin, un peu plus de soutien moral pour son collègue de travail, un peu moins d’orgueil, un peu moins de consommation futile, jusqu’à trouver l’équilibre en voulant répondre à la question de Ramana Maharshi, grand sage de l’Inde du Sud, et qui est générale à tous les sages : Qui suis-je ?
La vérité est Une, les chemins sont multiples.
(photo Ronald Chrétien)