E comme ETERNITE du ciel de Paris en noir-blanc-gris, pointillé de neige,
T comme le TEMPS entre Bombay la chaude et la bruyante, assaillie de pauvreté et de saleté, et la campagne française immaculée de neige, ponctuée de forêts fantomatiques et de routes verglacées,
O comme OUBLI soudain de 40 jours de voyage au soleil, au chaud, dans des paysages le plus souvent arides et salés,
U comme UNITE à retrouver, tellement brinquebalée entre Orient et Occident,
R comme RASSUREE de retrouver un pays où le vent givre les branches, où les fagots s'entassent dans les creux blanchis des forêts, où l'on ne voit plus que le désespoir des branches dépouillées tournées vers le ciel vide.
Rien n'est meilleur que de se retrouver dans un train à grande vitesse à parcourir la France toute blanche. Le train a ralenti et se met au diapason du rythme indien comme si les bourrasques de neige devenaient les vaches qui encombrent parfois les voies. Le train s'arrête en pleine campagne et là, aucun marchand de papayes ou de bananes, pas de petits vendeurs de thé qui grimpent en cours de route pour vendre leur petit gobelet de boisson chaude et sucrée à 5 roupies, ce qui serait pourtant tout à fait bienvenu. Là, planté au milieu du blanc, le train attend. Pas un chuchotement dans le wagon, c'est impressionnant ! je suis en ID TGV ZEN attitude... pas de bavardages, pas de téléphone, chacun est plongé dans son bouquin, ses mots croisés, isolé par les écouteurs dans les oreilles.
Dehors la bise a débarrassé les genêts de leur neige et les petits sapins le long de la voie tout floconneux sont eux de vrais sapins de Noël. Les chemins semblent vierges de toute trace, pourtant on imaginerait bien une petite famille de chevreuils curieuse de voir passer le train à défaut de vaches sacrées.
C'est impressionnant comme tout est blanc. Les petits villages regroupés de loin en loin, les maisons entassées frileusement autour d'un clocher de carte postale, semblent s'être endormis pour laisser passer la froidure. De temps en temps, une voiture glisse doucement sur un mince ruban de bitume grisâtre.
Depuis une heure, rien n'a changé, toujours le même ciel bas à mourir, je sens quasiment physiquement l'épaisseur de la couche de nuages d'autant plus aisément que j'ai pu la voir la veille à quelques dizaines de kilomètres au-dessus avec un soleil qui n'en finissait plus de se coucher dans des couleurs ardentes du rouge à l'orangé violent puis passant par tous les dégradés de l'ocre au bleu pâle pour se terminer en nuit profonde des heures après. Le coucher de soleil éternel quand on vole vers l'ouest le soir...
Même pas de lapin blanc qui pourrait apparaître magiquement pour me donner envie de relire dans l'instant Alice au pays des merveilles, même pas de corbeaux qui, par leur croassement me feraient immédiatement repartir en Inde, tellement ces criaillements sont hypnotiquement rattachés à ce pays. Quelques pancartes, des balises, des panneaux, isolés dans toute cette blancheur indiquent que la route blanche dont on ne distingue même plus le tracé parmi les prés blancs, va tourner à droite.
Une grosse ferme fortifiée au sommet d'une petite colline, massivement refermée sur elle-même, un petit bout de canal déjà pris par la glace, les découpes des parcelles délimités par des murets de pierres sèches ou des broussailles en bosquets, c'est dimanche et la France rurale dort sous sa couette.