On
pourrait intituler ce jour « une journée pas comme les autres » mais
ici ou ailleurs, existe-t-il des journées « comme les autres » ?
En tous cas c’est une journée chargée d’émotions, de vécu intense, avec des
situations aussi bizarres que variées !
Réveil
de bonne heure pour aller à la gare prendre notre train pour Haridwar, 283 km
qui vont nous mener dans l’état d’Uttarakhand auprès du Gange sacré.
Nous
sortons de notre hôtel de Karol Bagh à Delhi et un rickshaw vide nous passe devant
le nez sans que nous ayons eu le temps de lui faire signe pour l’arrêter. Comme
il est 5 h 55 nous avons le temps de pousser jusqu’à la station de métro qui
ouvre à 6 h. L’entrée par laquelle nous passons est bien ouverte mais l’employé
qui vend les jetons ne sera là que dans un quart d’heure. Il faudrait
redescendre au niveau de la rue, traverser, remonter deux étages sans
escalators pour aller chercher les tickets à l’autre entrée. Un flic
bienveillant et voyant nos sacs à dos propose à un jeune d’aller nous acheter
les jetons en le laissant passer (lui a une carte d’abonnement) pour traverser
juste le hall et acheter notre trajet au guichet d’en face, ouvert, jusqu’à la
gare de New Delhi. Le jeune en profite pour garder la monnaie sans que nous ayons
le plaisir de la lui laisser.
A la
gare, chance, notre train est sur le premier quai et nous nous installons dans
nos fauteuils. Départ à l’heure pétante. Distribution d’un litre d’eau minérale
avec gobelet, puis journal du jour au choix, hindi ou anglais avec plusieurs
titres disponibles, ensuite, notre « six o’clock tea » avec thermos
d’eau chaude, paquet avec thé, sucre, lait et petits biscuits. Viendra ensuite
le petit déjeuner, re-thé, omelette ou galettes de purée avec petits pois
(frais), toasts beurre et confiture, tout cela inclut dans notre billet de
train de moins de quatre euros, bon, d’accord, avec la réduction
« senior ».
Trajet
tranquille entre lecture et endormissement dodelinant. Arrivée à l’heure, ça
peut arriver aussi.
A Haridwar, tous les porteurs reluquent les voitures à la
recherche des étrangers, mais nous avons réduit nos sacs pour les porter sans
problème et sans porteur. Des propositions de tous les côtés, tous pressés de
voir prendre un rickshaw pour Rishikesh, à 25 km de là, pour 450 roupies par
personne. Les bus pour Rishikesh ? Il n’y en a presque pas, deux par jour,
et c’est trop tard maintenant, c’est pour ça qu’il vaut mieux prendre un taxi…
Mais la
chanson est connue et nous traversons en face à la gare des bus. Au bureau d’informations,
pas de numéro de quai pour prendre un bus pour Rishikesh, ça part tout le
temps… Ah bon ? Mais où ? allez voir à droite. On se faufile à
travers les dizaines de bus pour savoir lequel part pour Rishikesh. Non, il
faut aller voir du côté gauche. Même chose et on nous renvoie sur la droite.
Mais il commence à pleuvoir, de grosses gouttes qui font que le bus serait le
bienvenu pour pouvoir se mettre à l’abri (ce qu’on croit !). Heureusement,
un jeune chargé d’une valise et avec femme et bébé nous a entendu clamer
« Rishikesh ? » et nous invite à le suivre et à grimper de suite
dans un bus en partance. Nous prenons deux sièges devant et c’est parti. Alors
commence le grand jeu de l’oie du bus. La pluie redouble et le siège de Béa commence
à être bien mouillé par la pluie (et Béa est assise sur le siège). Même en faisant semblant de fermer les
fenêtres qui font semblant de coulisser. Nous reculons d’une case et passons de
l’autre côté sur une rangée de trois sièges. La pluie redouble. Au-dessus de nos têtes, la ferraille du toit du bus tient par quelques écrous mais il en manque
beaucoup et l’eau coule par les trous. Douche assurée. Je recule d'une case et Béa recule encore de
trois cases et passe de l’autre côté. J’ajuste pour ma part l’inclinaison des
sacs à dos gardés sur le siège à côté en fonction de la vitesse du bus et du
nombre de gouttières qui apparaissent. Heureusement qu'il n'y a pas grand monde dans le bus car chacun s'applique à changer de siège en fonction des gouttières qui apparaissent !
Après
une heure de trajet (pour 25 km c’est la moyenne nationale sur ce type de
route) et la pluie qui a enfin cessé nous arrivons à Rishikesh à la gare des
bus. Même accueil empressé des chauffeurs de rickshaw qui veulent nous emmener
à l’hôtel pour 150 roupies pour deux. Avec deux Espagnoles nous négocions 200
roupies pour quatre dans un plus grand rickshaw. Nous paierons dix roupies par
personne le même soir pour rentrer à notre hôtel en taxi collectif.
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Laxman Jhula et notre mère Ganga gonflée par la mousson. |
Installation
dans un petit hôtel sur « High Banks » avec une chambre et un balcon
qui surplombe le Gange mais qui accueille aussi des singes qui recherchent la
nourriture des touristes inattentifs.
Nous
partons ensuite à la léproserie pour porter un paquet de pièces de rechange
pour la jeep de Pierre, qui s’occupe de cette léproserie indienne depuis
quarante ans. Située à neuf km de Rishikesh, il nous faut faire du stop pour y
monter. Attente, essais, mais les voitures qui montent sont pleines ou bien
s’arrêtent probablement dans les grandes propriétés ou hôtels situés un peu
plus haut. Un pick-up s’arrête, le chauffeur hésite et nous propose de monter
dans la benne derrière, bien toilée ce qui nous permet une bonne suée lorsque
nous devons rabattre la toile pour passer un contrôle de police sur la route.
Monte en chemin un brave type qui va jusqu’aux sources du Gange, à Badrinath…
il en a au moins pour deux jours de route s’il trouve les bons véhicules et il
a juste une chemise légère sur lui et un sac avec deux chapatis (galettes de
blé). Je lui signale qu’avec l’altitude où il va aller il va crever de froid,
mais il semble dépressif, il a laissé sa mère et sa petite fille au village,
et si Dieu veut le rappeler pendant le voyage, pas de souci. Et laisser sa famille sans ressources ? Ben voyons… Dieu y pourvoira c’est sûr.
Je
surveille un peu la route car le chauffeur semble ignorer où nous devons nous
arrêter, et nous laissons quelques roupies à notre compagnon de voyage.
Le
petit chemin pour descendre à la maison de Pierre est lissé de mousse verte
bien grasse et glissante et je me paie une belle chute, les genoux « en
sauteuse de 80 m haies ». Les JO sont terminés heureusement car la
prestation n’est pas géniale mais le genou tient.
Accueil
par les personnes qui sont là, thé, discussion courte car les échanges sont
difficiles. Pierre ne rentrera que samedi et je lui laisse un petit mot. Nous
repartons avec la chance d’arrêter un bus au bout de quelques mètres sur la
route.
Arrêt à
l’entrée de Rishikesh et promenade sur la grande esplanade construite tout le
long du Gange pour le plaisir des pèlerins et des touristes.
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l'esplanade le long du fleuve pour le bonheur des familles en pèlerinage. |
Il nous faut à
cause du fleuve très haut, repartir dans les petites rues qui sentent parfois
l’urine ou pire, découvrir tout ce petit peuple qui vit dans des ruelles
sombres et insalubres, pratique de petits métiers, vendeur de pâtes, menuisier,
mécanicien, marchand ambulant qui propose légumes et pommes, pour trouver le
pont qui nous permet de continuer notre chemin vers la place centrale au bord
du Gange où se passe « l’arati », l’offrande du feu au Gange, à la
tombée de la nuit.
Là,
dans un grand hall, une cérémonie avec chants, mantras, discours, et qui
semblent concerner tout particulièrement deux fillettes, habillées comme au
théâtre, de costumes chamarrés, coiffes de dieux hindous, bijoux rutilants,
elles se tiennent par la main et dansent avec les membres de la famille qui
font tourner des billets au-dessus de leur tête. Nous n’arriverons pas à savoir
pourquoi cette cérémonie (début de la puberté ?) malgré Béa qui va jouer
la reporter photographe et qui se retrouve malgré elle happée par la famille
qui veut se faire photographier avec elle.
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Avant la tombée de la nuit, l'offrande des fleurs, bougies, encens, pour le fleuve sacré. |
Béa
part du hall et se retrouve en vol plané à cause de la pluie et de la mousse,
encore elle, sur le pourtour du hall. De solides bras la soulèvent et l’aident
à repartir d’un bon pied si l’on peut dire, mais elle a tapé fort et il va
certainement lui rester quelques séquelles en grande invalidité.
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L'arati à Rishikesh, ambiance très familiale et plutôt intime |
Heureusement
l’arati du soir va la voir retrouver ses facultés de photographe et la
puissance du fleuve va l’aider à récupérer un peu ses esprits. N’empêche que ce
sont deux éclopées qui ont encore bien des progrès à faire en patinage
artistique qui arrêtent un taxi collectif pour retourner dans les hauteurs.
En
cours de route, grimpent un groupe de quatre hilares, trois femmes et un homme,
illuminés par la grâce de Krishna, et qui nous font chanter le mantra
« Hare Rama, Hare Krishna » à tue-tête jusqu’à notre destination
finale. Voilà de quoi remettre en place la côte douloureuse de Béa car
visiblement s’il s’agit de chanter d’un air béat, pas question de rigoler.
Nous
allons manger une purée sauce champignon pour moi et des légumes et chapatis
pour Béa dans un petit restaurant jardin à la lueur des bougies. Et se jeter
sur le lit pour tomber dans les bras de Morphée sans entendre les aboiements
des chiens errants.